Toine Heijmans : « En mer »

Toine Heijmans en mer

Présentation de l'éditeur:  "Las du quotidien de sa vie de bureau, Donald décide de partir naviguer seul pendant trois mois en mer du Nord. Maria, sa fille de sept ans, le rejoint pour la dernière étape qui doit les ramener du Danemark aux Pays-Bas, où ils retrouveront sa femme. Mer étale, complicité entre le père et la fille: la traversée s’annonce idyllique. Mais rapidement, les nuages noirs se profilent à l’horizon, et Donald semble de plus en plus tourmenté.
 Jusqu’à cette nuit cauchemardesque où Maria disparaît du bateau alors que la tempête éclate..."

« En mer » est le premier roman de Toine Heijmans, né en 1969 aux Pays-Bas. Il reçoit le prix Médicis Etranger 2013.

« La mer portait délicatement le voilier. La mer est une boîte de Petri remplie de plomb liquide. Quelqu’un tient la boîte et la fait osciller, avec régularité et attention, de façon à créer une onde longue et houleuse. La proue glissait dessus sans problème. Les vagues étaient suffisamment grandes pour soulever haut le voilier. Et après avoir soulevé le voilier, elles le laissaient redescendre avec mille précautions. Comme si elles reposaient un bébé dans son berceau. »

Ce roman est un roman sur la mer, une traversée en solitaire, une errance de père, un projet de vie pour Donald qui a besoin d’autre chose que son travail. Avec maestria et économie de mots, l’auteur crée une ambiance inquiétante, chabrolienne, même. Quand les éléments se déchainent, quand le sommeil manque nait alors une toute autre dimension, une réalité que Donald devra apprivoiser lors de sa dernière traversée avant son retour chez lui.
Ce roman m’a touchée, intriguée, tenu en haleine, car quand la fille de Donald s’évapore du voilier, un soir de tempête, le lecteur cherche avec ce père désespéré tous les possibles pour expliquer la disparition de la petite Maria…

« Il n’y a rien de plus doux que d’être couchée dans la chaleur de son propre enfant. La respiration. L’abandon. La confiance qu’un enfant a encore, lorsque nous commençons à le perdre. »

Toine Heijmans (Traduit du néerlandais par Danielle Losman), En mer, Bourgeois, août 2013, 168 pages, 15 euros

 

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David Foenkinos :  » Le potentiel érotique de ma femme « 

David foenkinos le potentiel érotique de ma femme

Présentation de l'éditeur : "Après avoir collectionné, entre autres, les piques apéritif, les badges de campagne électorale, les peintures de bateaux à quai, les pieds de lapin, les cloches en savon, les bruits à cinq heures du matin, les dictons croates, les boules de rampe d'escalier, les premières pages de roman, les étiquettes de melon, les œufs d'oiseaux, les moments avec toi, les cordes de pendu, Hector est tombé amoureux et s'est marié.
Alors, il s'est mis à collectionner sa femme."

David Foenkinos propose avec « Le potentiel érotique de ma femme », un véritable roman de moeurs. Hector, le personnage principal et anti-héros, souffre de collectionnite aiguë. Il est le deuxième enfant d’une famille où on l’a conçu pour effacer le manque de son frère aîné, âgé de 20 ans de plus que lui. Après une tentative de suicide, il séjourne 6 mois dans un hôpital spécialisé. Son alibi: il était en voyage aux Etats-Unis… De là, s’en suit la rencontre avec sa future femme, mythomane, elle aussi.

« La poussière avait veillé sur le lieu, avant de s’ennuyer au point de se reproduire. »

David Foenkinos crée une galerie de portraits de petites gens certes caricaturées à l’extrême, mais tellement vraies! Des petites manies de chaque personnages tournées en dérision, au pathos pathétique de certaines scènes frôlant le comique de situation, l’auteur propose l’histoire d’un amoureux des collections sans un seul temps mort. Le style vif des scènes d’actions s’oppose aux longues phrases d’introspection d’Hector. Le plus étonnant dans ce roman déjanté c’est la normalité des situations incongrues et extravagantes! Sommes-nous dans un monde absurde? Voilà une question à laquelle, David Foenkinos se garde bien de répondre…

« « Voilà, j’ai quelque chose à vous dire…J’ai fait une tentative de suicide…et je n’étais pas aux États-Unis mais en convalescence… »
Après un silence, ses parents se mirent à rire ; un rire à l’opposé de l’érotisme. Que c’était drôle ! Ils gloussaient leur chance d’avoir un fils si doux et si comique, Hector des Hector, fils comique ! Ce fils qui avait, comment dire, un léger problème de crédibilité. Il avait été rangé dans la catégorie « bon fils » puisqu’il venait manger même quand il n’avait pas faim. Et les bons fils ne se suicident pas ; au pire ils trompent leur femme quand elle part en vacances à Hossegor. Hector fixa le visage de ses parents, il n’y avait rien à lire, des têtes d’annuaires téléphoniques. Il était condamné à être leur cliché. »

David Foenkinos, Le potentiel érotique de ma femme, Folio, août 2005 192 pages, 6,40 euros 

Iegor Gran : « La revanche de Kevin »

 Iegor gran la revanche de kevin


Présentation de l'éditeur : "À la porte de Versailles, au vernissage du Salon du livre, 
vous rencontrez un type sympathique, lecteur pour une grande maison d'édition. Il sait 
que vous écrivez, vous lui montrez votre manuscrit, il en tombe dingue. Il le fait lire 
à quelques pointures de ses connaissances et tous sont unanimes : vous avez écrit un 
chef-d'oeuvre. Vous avez du mal à le croire mais il vous rassure en citant Proust, 
Céline, Deleuze et votre vanité prend ses aises, radieuse. Vous vous apprêtez à signer 
le contrat quand le type disparaît. Vous appelez la maison d'édition. On vous apprend 
qu'il n'a jamais existé."

« Il lui arrivait de penser, désabusé, que la littérature était comme les Jeux olympiques : l’essentiel était de participer, la victoire n’appartenant qu’aux dopés, aux filous et aux monstres. »


« La revanche de Kevin » est un de ces romans, avide de question, vif dans l’intrigue et le style. Notre identité permet elle de s’insérer dans la société? Notre nom est il le reflet de notre identité? Les préjugés peuvent ils être dépassés? Dans ce roman, il y a aussi une très jolie satire du milieu littéraire, de ses faux-semblants, ses faux-amis et ses faux-culs. Personne n’est épargné ce qui rend l’ensemble plutôt acceptable et juste. La prétention intellectuelle est un fléau de notre société moderne, où tout savoir est signe d’une appartenance à un sérail aux règles et codes définis. Iegor Gran dénonce l’étroitesse des bien-pensants sous les traits d’une comédie douce-amère. Le titre annonciateur d’une revanche et les notes de page qui font référence à une enquête policière apportent suspense et dynamisme à ce court roman fort construit.

« L’appel du porte-monnaie pouvait encore convaincre l’épouse, mais Myriam ne voulait rien entendre, et resta inflexible malgré la promesse de juteuses carottes. Encore bien jeune et idéaliste, rigide comme un fantasme, elle ne voulut rien sacrifier de l’immaculée réputation de son papa chéri. »

J’ai aimé le refus de facilité dans sa description du monde littéraire et globalement du monde intellectuel. les phrases courtes et l’analyse psychologique poussée de Kevin est très bien menée. Un roman qui se dévore et questionne sur soi, son nom, mais aussi et surtout sur notre capacité à regarder les gens avec un regard neuf, dépourvu de tout jugement, en leur laissant une chance d’évoluer hors des cases…

Iegor Gran, La revanche de Kevin, POL, février 2015, 192 pages, 15 euros

Natacha Appanah : « En attendant demain »

Natacha Appanah " en attendant demain"

Présentation de l'éditeur : "«Adam est debout, le visage collé à la petite fenêtre, les deux mains accrochées aux barreaux. Tout à l'heure, quand il a grimpé sur sa table pour atteindre l'ouverture, il s'est souvenu que les fenêtres en hauteur s'appellent des jours de souffrance. Adam attend l'aube, comme il attend sa sortie depuis quatre ans, cinq mois et treize jours. Il n'a pas dormi cette nuit, il a pensé à Anita, à Adèle, à toutes ces promesses non tenues, à ces dizaines de petites lâchetés qu'on sème derrière soi...»
 Adam et Anita rêvaient de vivre de leur art – la peinture, l'écriture. Ils pensaient accomplir quelque chose d'unique, se forger un destin. Mais le quotidien, lentement, a délité leurs rêves jusqu'à ce qu'ils rencontrent Adèle qui rallume un feu dangereux.
 En attendant demain est un roman qui raconte la jeunesse, la flamme puis la banalité, les mensonges et la folie d'un couple. "

« Alors lui revient ce frémissement dans le ventre, le lent réveil de cet espoir flamboyant de sa jeunesse, devenir écrivain. Alors, le soir, elle reprend un cahier, elle commence à écrire, à espérer, mais à chaque fois, comme un soufflé, les mots retombent. Mais ce n’est pas grave car elle est persuadée qu’elle trouvera bientôt une histoire à raconter, une idée merveilleuse qui tiendra debout, tout le temps. Une histoire qu’elle pourra veiller de loin, même fatiguée, même lasse, même désappointée, et ce sera comme une lumière, toujours. Oui, une histoire, une belle histoire à écrire. »

Un triangle amoureux très particulier. Adam et Anita rêvent d’une vie d’artistes et d’amoureux éternels mais, création et réalité font rarement bon ménage. Un déménagement à la campagne, un léger isolement et le doute s’installe, s’insinue dans les esprits et ce n’est pas l’arrivée d’une enfant qui sauvera l’unité originelle, mais l’arrivée d’Adèle. Trois prénoms en A, trois commencements, mais combien de renoncements et de petits arrangements avec la vérité?

« Ils rêvaient d’incarner un couple d’artistes, mystérieux, talentueux et amoureux, ils espéraient trouver une nouvelle manière de rejoindre paroles, peinture, forme, couleur, histoire. »

J’ai aimé la construction du roman, l’alternance dans la narration entre la recherche d’idéaux et la crudité du quotidien, le décalage en somme entre être et paraitre. Natacha Appanah livre un roman poignant, à l’ambiance chabrolienne. Si dès le début, le lecteur est averti du drame, le suspense reste néanmoins très présent. Ce sont les mécanismes, le rouage du destin qui intéressent l’auteur.

Natacha Appanah, En attendant demain, Gallimard, janvier 2015, 208 pages, 17.50 euros

Cécile Coulon : « Le cœur du Pélican »

Le coeur du pelican

Présentation de l'éditeur : Anthime, un adolescent inséparable de sa sœur Helena, 
vient d’emménager dans une banlieue de province avec toute sa famille. 
Il craint de ne pas s’intégrer dans cette nouvelle communauté où personne ne l’attend.
Pourtant, il va vite trouver le moyen de se distinguer et de se faire connaître. 
Lors d’une kermesse, il s’illustre par sa rapidité au jeu de quilles. 
Il n’en faut pas plus à Brice, un entraîneur obèse et bonhomme, pour l’enrôler dans
la course à pied. Anthime, surnommé le Pélican, excelle dans cette discipline et 
devient un exemple et un symbole pour toute la région. Sa voisine Joanna l’adule 
mais le coureur n’a d’yeux que pour Béatrice, une camarade de classe, belle et 
charnelle, et qui ne reste pas, elle non plus, insensible à son charme… La veille 
d’une course déterminante, ils échangent un baiser qui scellera leur relation 
devenue désormais impossible à cause de la chute d’Anthime, qui s’effondre aux portes 
de la gloire… Vingt ans plus tard, alors qu’il a tout abandonné, désormais bedonnant,
et qu’il vit un amour médiocre avec Joanna, Anthime reçoit un électrochoc. 
Il sort de sa torpeur lorsque ses anciens camarades de classe lui lancent le défi de 
traverser le pays en courant.  
Le Pélican retrouvera-t-il en lui la force de redevenir un champion et combler, par la même occasion, son orgueil

Cécile Coulon est une jeune auteur qui a publié 7 ouvrages, des nouvelles, des romans bien sûr et un roman policier.  Après des études en hypokhâgne et khâgne à Clermont-Ferrand, elle poursuit des études de Lettres Modernes. Elle se consacre actuellement à une thèse: « Sport et Littérature ».

« Le monde ne comprendra jamais que les grands hommes ne sont pas ceux qui gagnent mais ceux qui n’abandonnent pas quand ils ont perdu. »

 Un roman choral qui détonne et suit avec beaucoup de souffle, Anthime aux espoirs déçus. Que reste-t-il de nos rêves d’enfant, des envies de gloire, des espoirs de records, et des remords et des regrets? Anthime, adolescent à la foulée rapide, et au coeur lourd d’envies et d’interdits, parviendra-t-il à être le Pélican (celui qui s’arrache le coeur pour nourrir ses petits?) Dans une banlieue ordinaire, dans une middle classe bien étriquée, bien policée, bien ordonnée, les rêves de grandeur et de s’échapper en courant d’un jeune garçon vont ébranler plusieurs vies. Passer à côté de sa vie parce qu’on ne se relève pas d’une chute, est le thème de ce roman, où Cécile Coulon travaille en coureur de fond, la forme et le sens.

« Tout ce qui fait battre ton coeur mérite d’être vecu.Tout ce qui te blesse,tout ce qui ouvre des crevasses te donne de l’épaisseur. »

J’ai aimé, le style vif, le vocabulaire moderne et précis, la manière dont est saisi la psychologie des personnages, l’ambiguïté des relations entre Anthime et sa soeur. Il y a une évanescence qui se dégage du roman et une grandeur fraicheur malgré la dureté du thème. Dans le monde de Cécile Coulon, rien ne sert de courir, il faut d’abord savoir se relever. A méditer!

Cécile Coulon, Le coeur du pélican, Viviane Hamy, janvier 2015, 240 pages, 18 euros

Conversation avec Muriel Barbery à la librairie Kléber

Muriel Barbery était l’invitée très attendue de la librairie Kléber de Strasbourg, ce mercredi 15 avril à 17H, pour son dernier roman « La vie des elfes ».  (voir ma chronique ici.)

Son roman explore la vie des elfes et plus particulièrement la vie de deux fillettes, Maria et Clara. Elles ont chacune une sensibilité exacerbée. Maria communique avec les bêtes, la nature et les pierres, Clara joue divinement du piano et transmet des émotions inimaginables à son auditoire. Éloignées géographiquement, mais reliées intimement, elles auront pour mission d’éviter une guerre entres les elfes et la bêtise humaine. Maria appartient et incarne le monde de la Terre, Clara celui de la musique.

Je la rejoins vers 14H, devant la librairie. Je suis profondément honorée d’assurer cette interview à venir. Pour l’heure, direction une petite brasserie alsacienne, en compagnie d’Alexis, chargé des acquisitions en littérature française, et d’Adeline et Solène, deux pétillantes stagiaires.

Intimidée, je dois bien le reconnaitre, par cette auteure dont j’ai apprécié les romans, le déjeuner parait cependant intemporel et d’une simplicité presque déconcertante, mais tellement agréable. Autour de cette jolie table aux mets alsaciens, de stimulantes et douces discussions, sur les voyages, le Japon, les insectes et surtout le devenir du livre et des librairies indépendantes, émaillent ce délicieux moment.

L’après-midi se poursuivra en tête à tête, avec nos lunettes de soleil bien chaussées et un moment de détente en terrasse où des mots très précieux m’ont été confiée.

Il est presque 17h, et après un court passage dans les bureaux de la librairie et une photo souvenir, la rencontre peut enfin avoir lieu.

Muriel Barbery et Bénédicte Junger © Droits réservés

Muriel Barbery fait partie de ces auteurs qui souhaitent rester en dehors du système de promotion outrancier des auteurs plus que de leurs livres eux-mêmes. Elle se fait rare, mais accepte les portraits et les radios. Elle ne va jamais à la télévision et ne parle jamais de ce qui n’a pas de rapport avec l’écriture. En revanche, elle privilégie toujours les librairies, comme lieu de rencontre avec les lecteurs.

« L’important c’est les lecteurs »

Muriel Barbery et Bénédicte Junger à la librairie Kléber© Droits réservés

L’auteur évoque ses sources d’inspirations japonaises (tant le lieu que des écrits). Elle évoque un lien particulier à la peinture, à la nature qui fait appel à des souvenirs d’enfance. Muriel Barbery explique que le passage de la 1ère personne à la 3e personne a ouvert des perspectives de narration et que ce nouveau style s’est imposé naturellement mais a nécessité un long travail. A l’écouter, on se rend compte à quel point elle ressent un attachement aux gens, au travail de la Terre et se questionne profondément sur le sens de la vie et la prépondérance de l’image dans notre société.

Muriel Barbery dédicace à la LibrairieKléber© Bénédicte Junger

La séance de dédicace avec les lecteurs a été un très joli moment. De francs et jolis sourires se sont épanouis sur beaucoup de visages et même jusqu’à toute l’équipe de la librairie Kléber. Muriel Barbery est ensuite repartie comme elle était arrivée, dans la simplicité et l’écoute. Deux belles qualités qui se font pourtant bien rares. Ce moment restera comme une de mes plus jolies rencontres d’auteur.

 Muriel Barbery et l'équipe de la librairie Kléber© Bénédicte Junger