
Delphine Bertholon est une jeune auteure qui publie sur l’intime et ses bouleversements intérieurs. En 7 romans, elle s’impose avec une plume sensible, des descriptions profondes et dynamiques, et une tension grandissante avec le récit qui me fait penser à Laura Kasichke. A la rentrée d’hiver de cette année, elle a publié un roman bouleversant : Les corps inutiles. J’ai rencontré et interviewé Delphine à l’occasion de la sortie de son roman Grâce, en mars 2013, à la médiathèque de la Robertsau. Merci à elle d’avoir répondu avec enthousiasme à mes questions!

1. Comment êtes-vous venue à l’écriture? D’où vous en vient l’envie?
J’ai l’impression d’avoir toujours écrit. Même quand j’étais petite, je rédigeais des poèmes pour l’anniversaire de mes parents, des histoires pour les bibliothécaires de mon quartier, je passais plus de temps sur les rédactions que sur l’ensemble de mes devoirs. Dès le CP, il était évident que j’étais une « fille des mots », et pas une « fille des chiffres ». Très secrète, j’ai beaucoup de mal à exprimer mes émotions. Je suis plutôt sociable – voire trop spontanée – mais je ne sais pas parler de moi, j’ai un problème avec le « dire » dès qu’il devient intime. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans la vie, je tourne tout à la rigolade… Une forme de pudeur, j’imagine. Il y a eu, je crois, ces désirs simultanés d’exprimer par l’écrit ce que je ne savais pas transmettre autrement, et un goût immédiat pour les livres, les images, la fiction. J’ai toujours beaucoup vécu dans l’imaginaire et, bizarrement, ça ne s’arrange pas avec l’âge.
Bien sûr, écrire un texte qui valait la peine d’être lu par autrui a pris beaucoup de temps. Mais il y a quelque chose de très joyeusement viscéral dans mon désir d’écrire – et les viscères m’ont rendue persévérante, malgré les doutes, les déceptions et les galères.
2. Quel est votre plus beau souvenir d’auteur?
Il y en a beaucoup – et ils sont tous, pour moi, liés aux lecteurs. J’ai une pensée particulière pour une jeune fille qui, à propos de « L’effet Larsen », m’a raconté que ce livre lui avait permis de recommencer à vivre. J’ai des retours très émouvants sur « Les corps inutiles », des rencontres et des messages m’exprimant une forme de gratitude. Certaines femmes me disent que ce livre les a forcées à avancer, à dépasser leur passé ou, au contraire, à prendre des décisions dont elles ne se sentaient pas capables. Des hommes, aussi, qui avouent avoir compris quelque chose de leur violence irréfléchie, inconsciente. Mon « plus beau souvenir d’auteur », c’est précisément de laisser des souvenirs. Si ce que j’écris peut changer la vie d’une seule personne, ça justifie pour moi tous les sacrifices du monde. Transmettre est extraordinaire.
3. Que pensez-vous de cette citation de Fernando Pessoa « La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas »?
J’y suis sensible. Tant comme lectrice que comme écrivain. J’ai du mal à vivre avec la seule réalité ; c’est l’une des raisons pour lesquelles j’écris. Mais cette phrase, au fond, me touche davantage en tant que lectrice. La littérature, c’est l’ouverture sur des mondes qu’on ne connaît pas, des situations qu’on n’éprouvera jamais, des maisons que nous n’habiterons pas, des époques vers lesquelles il est impossible de retourner, des existences parallèles. La littérature, c’est mille vies en une seule. Parfois miroir, jouissivement intact ; parfois déformant. A l’opposé, la littérature, c’est aussi l’Ailleurs – horizon, escale, perdition. En lisant, j’aime autant me reconnaître que me perdre. Ce qui est fort dans cette phrase de Pessoa, ce n’est pas tant l’idée, contestable, que la vie ne suffit pas ; mais plutôt celle, sous-jacente, que la vie peut être encore plus grande, plus riche, plus intelligente, plus intelligible… Plus vivante, en fait. Que la littérature permet aussi, souvent, d’éclairer notre vie quotidienne d’une lumière originale, et infiniment salutaire.
4. Quel livre aimez-vous offrir?
Ça change sans arrêt ! Je choisis les livres en fonction de mes coups de cœur du moment. Ces derniers temps, j’offre beaucoup « Les insoumises » de Célia Levi, qui m’a bouleversée et que j’ai envie de faire découvrir à des gens que ce texte devrait toucher aussi. J’ai récemment offert « La part des flammes » de Gaëlle Nohant à ma meilleure amie, historienne de formation. J’aime traîner dans les librairies, adapter mon choix à la personnalité des gens : du coup, j’offre souvent des bouquins que je n’ai pas lus. Quitte à les piquer, après !
5. Quels sont vos projets littéraires?
Je donne beaucoup de moi dans mes romans, au sens presque physique du terme. Je suis très fusionnelle avec mes personnages. De fait, il me faut plusieurs mois avant de recommencer à écrire ; je suis incapable d’enchaîner. Pour l’instant, je suis donc toute à ma Clémence (l’héroïne des « Corps inutiles ») Mais je viens juste de signer un roman jeunesse pour 2016, ce qui me rend très heureuse !
6. Y a t il une question que je ne vous ai pas posé à laquez vous auriez aimé répondre? Souhaitez-vous ajouter quelque chose?
On essaie de le dire, mais on ne le dira jamais assez : les libraires sont nos héros. Sont mes héros. Les libraires, et les blogueurs. Tous ces lecteurs pointus mais bien réels, qui portent leurs coups de cœur à bout de bras – parfois au sens propre ! – en faisant fi des modes et des « buzz ». Sans ce soutien merveilleux, je serais restée dans ma cave humide, et votre question numéro 2 n’aurait pas eu de réponse. Alors, pour vous tous, je n’ai qu’un seul mot : merci.
7. J’allais oublier… avez-vous un secret à nous confier?
Il faut faire attention, quand on écrit. Les personnages de papier sont des êtres vivants qui vous poursuivent, encore et encore. Une foule étrange par laquelle, en réalité, on aime bien être poursuivi… En ce qui me concerne, si je n’écrivais pas, je serais sans doute enfermée dans un hôpital psychiatrique !
WordPress:
J’aime chargement…