Conversation avec Fanny Mentré à la librairie Kléber

Samedi 30 mai à 15H30, j’ai animé une conversation à la librairie Kléber avec Fanny Mentré, auteure d’un premier roman Journal d’une inconnue.

Journal d'une inconnue

© Droits réservés

Je retrouve Fanny une petite heure avant la rencontre afin de sélectionner les passages qui seront lus par deux comédiens Xavier Boulanger et Muriel Inès Amat.

J’apprends alors que c’est sa première rencontre et cela me fait repenser à ma première interview, c’était le 15 mars 2009 avec Delphine de Vigan. 15H35, la rencontre commence par la genèse du roman, sa construction par lignes.

Fanny Mentré & Bénédicte Junger

© Droits réservés

« Je voulais tirer des fils de vie »

La rencontre est émaillée de lectures qui donnent du peps à notre échange et surtout donnent à entendre l’incroyable talent de dialoguiste de Fanny Mentré. L’alternance dans le roman entre passages réflexifs et dialogues donne du relief et de l’élan au texte.

Lecture

© Droits réservés

« Ce n’est pas un roman avec un seul point de vue. Je voulais de la complémentarité. »

Fanny Mentré en dédicace

Librairie Kléber

Fanny Mentré explique que pour elle, il est inconcevable de ne pas aborder plusieurs points de vue. Elle n’a pas écrit un roman que sur les femmes, la dimension est plus universelle et mets en lumière ces moments de choix et de bascules dans une vie.

Fanny Mentré

J’ai passé un excellent moment autour de ce livre qui a le mérite d’être vif et tendre, sans romantisme, ni pathos.

J’ai hâte de lire son prochain roman en cours d’écriture qui aura entre autre, la forme de lettres d’amour. Mais dans l’univers de Fanny Mentré, l’amour est tout sauf un long fleuve tranquille, il va falloir s’attendre à quelque chose d’un peu rock & roll.

© Droits réservés

Publicité

Chut c’est un secret avec Delphine Bertholon

secrets d'écrivains par bénédicte junger

Delphine Bertholon est une jeune auteure qui publie sur l’intime et ses bouleversements intérieurs. En 7 romans, elle s’impose avec une plume sensible, des descriptions profondes et dynamiques, et une tension grandissante avec le récit qui me fait penser à Laura Kasichke. A la rentrée d’hiver de cette année, elle a publié un roman bouleversant : Les corps inutiles. J’ai rencontré et interviewé Delphine à l’occasion de la sortie de son roman Grâce, en mars 2013, à la médiathèque de la Robertsau. Merci à elle d’avoir répondu avec enthousiasme à mes questions!

delphine bertholon

1. Comment êtes-vous venue à l’écriture? D’où vous en vient l’envie?

J’ai l’impression d’avoir toujours écrit. Même quand j’étais petite, je rédigeais des poèmes pour l’anniversaire de mes parents, des histoires pour les bibliothécaires de mon quartier, je passais plus de temps sur les rédactions que sur l’ensemble de mes devoirs. Dès le CP, il était évident que j’étais une « fille des mots », et pas une « fille des chiffres ». Très secrète, j’ai beaucoup de mal à exprimer mes émotions. Je suis plutôt sociable – voire trop spontanée – mais je ne sais pas parler de moi, j’ai un problème avec le « dire » dès qu’il devient intime. C’est sans doute la raison pour laquelle, dans la vie, je tourne tout à la rigolade… Une forme de pudeur, j’imagine. Il y a eu, je crois, ces désirs simultanés d’exprimer par l’écrit ce que je ne savais pas transmettre autrement, et un goût immédiat pour les livres, les images, la fiction. J’ai toujours beaucoup vécu dans l’imaginaire et, bizarrement, ça ne s’arrange pas avec l’âge.

Bien sûr, écrire un texte qui valait la peine d’être lu par autrui a pris beaucoup de temps. Mais il y a quelque chose de très joyeusement viscéral dans mon désir d’écrire – et les viscères m’ont rendue persévérante, malgré les doutes, les déceptions et les galères.

2. Quel est votre plus beau souvenir d’auteur?

Il y en a beaucoup – et ils sont tous, pour moi, liés aux lecteurs. J’ai une pensée particulière pour une jeune fille qui, à propos de « L’effet Larsen », m’a raconté que ce livre lui avait permis de recommencer à vivre. J’ai des retours très émouvants sur « Les corps inutiles », des rencontres et des messages m’exprimant une forme de gratitude. Certaines femmes me disent que ce livre les a forcées à avancer, à dépasser leur passé ou, au contraire, à prendre des décisions dont elles ne se sentaient pas capables. Des hommes, aussi, qui avouent avoir compris quelque chose de leur violence irréfléchie, inconsciente. Mon « plus beau souvenir d’auteur », c’est précisément de laisser des souvenirs. Si ce que j’écris peut changer la vie d’une seule personne, ça justifie pour moi tous les sacrifices du monde. Transmettre est extraordinaire.

3. Que pensez-vous de cette citation de Fernando Pessoa « La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas »?

J’y suis sensible. Tant comme lectrice que comme écrivain. J’ai du mal à vivre avec la seule réalité ; c’est l’une des raisons pour lesquelles j’écris. Mais cette phrase, au fond, me touche davantage en tant que lectrice. La littérature, c’est l’ouverture sur des mondes qu’on ne connaît pas, des situations qu’on n’éprouvera jamais, des maisons que nous n’habiterons pas, des époques vers lesquelles il est impossible de retourner, des existences parallèles. La littérature, c’est mille vies en une seule. Parfois miroir, jouissivement intact ; parfois déformant. A l’opposé, la littérature, c’est aussi l’Ailleurs – horizon, escale, perdition. En lisant, j’aime autant me reconnaître que me perdre. Ce qui est fort dans cette phrase de Pessoa, ce n’est pas tant l’idée, contestable, que la vie ne suffit pas ; mais plutôt celle, sous-jacente, que la vie peut être encore plus grande, plus riche, plus intelligente, plus intelligible… Plus vivante, en fait. Que la littérature permet aussi, souvent, d’éclairer notre vie quotidienne d’une lumière originale, et infiniment salutaire.

4. Quel livre aimez-vous offrir?

Ça change sans arrêt ! Je choisis les livres en fonction de mes coups de cœur du moment. Ces derniers temps, j’offre beaucoup « Les insoumises » de Célia Levi, qui m’a bouleversée et que j’ai envie de faire découvrir à des gens que ce texte devrait toucher aussi. J’ai récemment offert « La part des flammes » de Gaëlle Nohant à ma meilleure amie, historienne de formation. J’aime traîner dans les librairies, adapter mon choix à la personnalité des gens : du coup, j’offre souvent des bouquins que je n’ai pas lus. Quitte à les piquer, après !

5. Quels sont vos projets littéraires?

Je donne beaucoup de moi dans mes romans, au sens presque physique du terme. Je suis très fusionnelle avec mes personnages. De fait, il me faut plusieurs mois avant de recommencer à écrire ; je suis incapable d’enchaîner. Pour l’instant, je suis donc toute à ma Clémence (l’héroïne des « Corps inutiles ») Mais je viens juste de signer un roman jeunesse pour 2016, ce qui me rend très heureuse !

6. Y a t il une question que je ne vous ai pas posé à laquez vous auriez aimé répondre? Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

On essaie de le dire, mais on ne le dira jamais assez : les libraires sont nos héros. Sont mes héros. Les libraires, et les blogueurs. Tous ces lecteurs pointus mais bien réels, qui portent leurs coups de cœur à bout de bras – parfois au sens propre ! – en faisant fi des modes et des « buzz ». Sans ce soutien merveilleux, je serais restée dans ma cave humide, et votre question numéro 2 n’aurait pas eu de réponse. Alors, pour vous tous, je n’ai qu’un seul mot : merci.

7. J’allais oublier… avez-vous un secret à nous confier?

Il faut faire attention, quand on écrit. Les personnages de papier sont des êtres vivants qui vous poursuivent, encore et encore. Une foule étrange par laquelle, en réalité, on aime bien être poursuivi… En ce qui me concerne, si je n’écrivais pas, je serais sans doute enfermée dans un hôpital psychiatrique !

Fanny Mentré : « Journal d’une inconnue »

Fanny Mentré Journal d'une inconnue

Présentation de l'éditeur : "C’est vrai : sa mère est morte, son couple bat de l’aile, son chef de service est un crétin et sa fille l’insupporte…
C’est vrai, mais est-ce une raison pour penser soudain que tout est faux ?
Est-ce une raison pour s’enfermer dans la buanderie, avec une vraie poule, une licorne tracée au Bic qui ronge le mur, à la lueur d’une lune toujours pleine, constante et artificielle ?
Qu’est-ce qu’elle imagine en écrivant ce qu’elle appelle son Journal ?
Qu’elle va changer sa vie ? Le monde ?
Allez, tout ça n’est pas si grave, au fond, la vie offre toutes sortes de solutions : se suicider, passer ses journées au lit à se masturber, boire à outrance, tomber amoureuse ou attendre la nuit, pour guetter les étoiles filantes…"

Fanny Mentré a écrit pour le théâtre, une quinzaine de pièces. Les dialogues, elle connait donc plutôt bien, mais c’est avec la forme du journal qu’elle s’essaye pour son premier roman et c’est réussit. Son personnage aborde d’ailleurs ouvertement, la forme du journal, ce que cela lui offre comme possibilités d’écriture, où commence la fiction et où elle s’arrête. Cette mise en abîme de l’acte d’écrire et ces réflexions sur la création littéraire apportent juste ce qu’il faut de profondeur et de distanciation au roman.

« Partager sa vie avec quelqu’un est quelque chose de véritablement usant. D’ailleurs l’expression « partager sa vie » veut bien dire qu’on en abandonne une partie. Mais au profit de qui? De quoi? De l’autre? Sûrement pas. On abandonne, c’est tout, des morceaux de soi, comme des chiens au bord de l’autoroute. »

Explorant le quotidien d’une ménagère de moins de 50 ans et ses frustrations, elle signe un journal à la parole libérée et sans concession avec ses personnages. Il y a imperceptiblement quelque chose de la tragédie dans ce premier roman, une tension, une fuite en avant, une envie de vie insatiable mais toujours contrainte par la société, les gens ou les choses qui se font ou pas.

« C’est peut-être ce que l’écriture de ce journal m’a permis de comprendre : je suis une fiction. »

Dans le microcosme d’un village, et au sein d’une entreprise en voie de restructuration, affirmer ses choix et défendre sa place ne sont pas chose facile d’autant que les règles sont mouvantes et difficilement appréhendables.

« Tous ces manquements m’apparaissent, au fil des ans, aussi aliénants que des « ainsi font font font » qui n’iraient vers aucune évolution, quelles que soient les discussions, et plus on en discute et moins ça évolue et plus ils m’apparaissent comme des « signes » de mépris, comme des post-it que je trouverais partout sur mon passage où il serait écrit « je t’emmerde »… »

La délitescence de ce personnage féminin est fine et subtile, profondément juste. J’ai aimé le ton, la tendresse de mère en alternance avec les envies de femme et surtout ce sentiment diffus mais persistant qu’il suffit de voir des licornes pour trouver une voix et exister.

Fanny Mentré, Journal d’une inconnue, Lattès, février 2015, 310 pages, 18,50 euros

Rencontre avec Eric Reinhardt à la médiathèque de la Robertsau

Né en 1965 à Nancy, Éric Reinhardt a fait une prépa HEC, puis une école de commerce, avant de travailler dans l’édition, puis plus précisément dans l’édition de livres d’art. En 1991, il se met à écrire et publie en 1998 son premier roman Demi-sommeil. Tout au long de ses livres, il observe notre société, ses différentes classes et leurs mœurs, avec un regard, et une écriture sarcastique mais également poétique. Il dépeint surtout la classe moyenne, avec ses illusions et ses désenchantements, dans Le Moral des ménages, son second roman, paru en 2002, et qui l’a fait connaître au public. Ses romans mettent en scène des personnages que le diktat actuel de la réussite maltraite. Dans Cendrillon et Le Système Victoria, il critique la mondialisation, le monde de la finance, le capitalisme décomplexé, le monde du travail sous la pression de la logique du profit.

Il est venu rencontrer ses lecteurs de la médiathèque de la Robertsau pour son dernier roman L’amour et les forêts paru en août 2014 et qui a obtenu les Prix Renaudot des lycéens 2014, Prix France Télévisions 2015 et Prix des étudiants France Culture – Télérama 2015.

J’ai accueilli Éric en fin d’après-midi sur le quai de la gare de Strasbourg. Il est descendu de sa voiture, le regard azur et les cheveux argentés, armé d’un parapluie canne noir, vêtu d’un imper sombre chaussé de souliers noir très élégants. Avec un sourire, je lui ai annoncé qu’il n’y aura hélas pas de pluie et pas de temps d’automne (hélas, car c’est sa saison préférée, un thème qu’il a très largement développé dans Cendrillon).

« Je préfère le profond, ce qui peut se pénétrer, ce en quoi il est envisageable de s’engloutir, de se dissimuler : l’amour et les forêts, la nuit, l’automne, exactement comme vous. »           in L’amour et les forêts

Eric Reinhardt à la médiathèque de la Robertsau

© Droits réservés

Cette rencontre à la médiathèque était la vingtième de notre cycle « Des mots d’auteurs ». Il y avait un peu d’émotion pour moi. L’interview se démarquait par une forme particulière. En effet, j’avai défini 10 « objets-symboles » révélateurs du livre. Je les ai présenté à l’auteur l’un après l’autre en ménageant un certain suspens pour amorcer la discussion.

La librairie la parenthèse revient sur la rencontre

L’expérience était plutôt réussie. Eric Reinhardt s’est prêté avec bonne humeur à ce petit jeu où même une lampe est sorti de mon sac, ce qui rappellera à Christel, fidèle lectrice de la médiathèque, l’extraordinaire Mary Poppins! L’auteur a abordé rapidement le processus de création et la genèse du roman. Il n’a pas voulu l’axer sur les pervers narcissiques mais sur la personne qui en subit les conséquences. Souvent il a expérimenté les choses pour écrire les scènes de son roman. Il s’est ainsi inscrit sur meetic sous un pseudonyme féminin, est allé visiter la clinique Sainte Blandine à Metz et a même testé un soin du visage.

« Le personnage de Bénédicte Ombredanne a été nourrie de rencontres avec des femmes qui m’ont raconté leur histoire et par ma sensibilité. »

Sophie Adriansen évoque la rencontre

Le public présent s’est dirigé dès la rencontre achevée devant la petite table de dédicace pour échanger de manière plus personnelle avec l’auteur. Claudia de la Libraire La Parenthèse a assuré la vente de livres.

Eric Reinhardt en dédicaceEric Reinhardt« Bénédicte Ombredanne est une ligne narrative que j’avais déjà construite pour « Cendrillon ». C’était déjà une femme enfermée. »

Eric Reinhardt en dédicace© Bénédicte Junger

La rencontre s’est achevée après un dîner fort agréable autour de plats alsaciens et d’évocations littéraires et culinaires (entre autres). Mais Eric, fidèle à son personnage préféré de Cendrillon s’est éclipsé aux douze coups de minuit…

Eric Reinhardt

© Bénédicte Junger

Chut un secret avec Harold Cobert

secrets d'écrivains par bénédicte junger

Harold Cobert est un auteur à la plume vive et profonde, parfois grave. Le drame intérieur ou collectif n’est jamais loin mais toujours traité avec pudeur et douceur. Son dernier roman Lignes brisées m’a beaucoup touchée. Il viendra en parler à la médiathèque de la Robertsau mardi 17 novembre 2015, en attendant,  merci à lui d’avoir répondu à ce petit questionnaire!

harold cobert

1. Comment êtes-vous venu à l’écriture? D’où vous en vient l’envie?

Suite à un accident de surf où j’ai failli rester tétraplégique, quand j’avais 20 ans. Je voulais écrire, mais j’étais un peu comme les vaches qui passent leur vie à regarder les trains filer vers des destinations inconnues en se disant : « Un jour je prendrai le train », sauf qu’elles restent toute leur vie dans leur pré. Lorsque j’étais en convalescence, un ami m’a offert une anthologie du jeu d’échecs, que je pratiquais alors beaucoup. Un fait divers rapporté par un témoin de l’époque m’a fasciné, j’en ai fait une nouvelle qui a été primée dans plusieurs concours, et je n’ai plus cessé d’écrire. Ma venue à l’écriture est un accident qui s’est répété.

2. Quel est votre plus beau souvenir d’auteur?

Le soir où Héloïse d’Ormesson m’a fait un texto pour me dire qu’elle aimait le manuscrit de Un hiver avec Baudelaire, dont personne ne voulait. Tatiana de Rosnay, avec qui j’avais sympathisé lors de salons où j’étais allé pour mon premier roman chez Lattès, lui avait passé le texte qu’elle avait beaucoup aimé. Elle a harcelé Héloïse pendant des semaines, j’avais peur qu’elle me déteste avant même de m’avoir lu ! Au bout de six mois, Tatiana a dit à Héloïse, un vendredi, que si elle ne m’avait pas lu pour lundi, elle ferait passer mon texte à d’autres éditeurs. Le dimanche soir, je discutais avec une amie scénariste sur mon téléphone fixe, je lui disais notamment que le texte en question ne serait jamais publié, qu’il était sans doute mauvais, lorsque j’ai reçu un texto d’un numéro inconnu. C’était Héloïse qui m’écrivait que mon roman lui plaisait et qu’elle m’appellerait le lendemain pour en parler avec moi. J’étais tellement heureux et excité que je n’en ai pas dormi de la nuit de peur de manquer son appel.

 3. Que pensez-vous de cette citation de Fernando Pessoa « La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas »?

J’inverserais plutôt la proposition. Si vous prenez les Grecs et Shakespeare, tout a été dit, et pourtant on continue d’écrire. J’y vois plutôt la preuve que, vu la complexité et la richesse de l’existence, la littérature ne suffit pas pour exprimer la vie.

4. Quel livre aimez-vous offrir?

Cela dépend des moments, de mes propres lectures. Lorsque j’ai lu un livre qui m’a enthousiasmé, j’aime l’offrir comme on offre un bouquet de fleurs ou une bonne bouteille de vin.

 5. Quels sont vos projets littéraires?

Je travaille actuellement sur un « roman monstre » pour la rentrée littéraire d’août-septembre 2016, qui sera publié par la nouvelle éditrice en charge de la littérature française chez Plon, Lisa Liautaud. Mais je ne peux pas vous en dire plus…

6. Y a-t-il une question que je ne vous ai pas posé à laquelle vous auriez aimé répondre? Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

Pourquoi avez-vous attendu autant de temps pour m’inviter à Strasbourg ? ;-)

7. J’allais oublier… avez-vous un secret à nous confier?

Chut !

Sylvie Le Bihan : « L’autre »

sylvie le bihan l'autre

Présentation de l'éditeur: "11 septembre 2011. Emma fait partie des invités d’honneur de la Maison Blanche pour les commémorations des attentats. Debout sous le soleil de septembre, elle est au plus mal. Mais est-ce son veuvage qui la fait tant souffrir ? Rien n’est moins sûr. Strasbourg. janvier 1996, Emma est insouciante, une séductrice capricieuse qui croque les hommes et les jette sans remords. Jusqu'au moment où elle rencontre l’Autre. Avec l’Autre, sa vie va prendre une tournure plus grave. Emma éprouvera au quotidien, dans les gestes les plus banals, que l’enfer existe. Sylvie Le Bihan, dans son premier roman, a choisi de traiter un sujet que connaissent beaucoup de femmes et dont peu savent parler pourtant : celui du pervers narcissique. Elle excelle, grâce à une écriture aussi mordante que délicate, à décrire comment la violence entre, parfois sans fracas, dans la vie d’une femme."

 Sylvie Le Bihan est diplômée de Sciences Po, après avoir travaillé pendant 12 ans en Angleterre en donnant des cours de Sciences Politiques, comme chasseur de têtes pour la finance puis en tant que professionnelle dans le marketing, elle rentre à Paris en 2004 et travaille comme directrice de l’International pour les restaurants Pierre Gagnaire (son mari) avec qui elle a également signé un étonnant ouvrage sur le goût : « Petite Bibliothèque du gourmand ».

« Devenu ton confident, ton meilleur ami puisque depuis votre séjour à Strasbourg tu ne parlais plus que rarement aux tiens, tu lui livrais toutes tes pensées car jamais tu n’aurais pu imaginer qu’une telle perversité fût possible. il te donnait son avis sur tout et ça te rassurait, tu eus le sentiment d’exister car s’il faisait attention à toi, à ton aspect, c’était pour ton bien, pour te rendre meilleure. Les cheveux attachés, tu étais plus jolie. juste un conseil, puis un seul de ses regards appuyés et tu cherchais ton élastique fébrilement au fond de ton sac. Un bouton ouvert pour tes chemisiers, c’était plus élégant. »

Ce premier roman L’Autre, paru au Seuil en 2012 est un roman très réussi sur l’étouffement, l’enfermement, la descente aux enfers de deux femmes. Cet étouffement est dû à la maltraitance physique ou morale de ces deux jeunes femmes, Emma et Maria, par leur mari respectif. Deux milieux sociaux différents mais deux victimes avant tout, étranglées dans leur vie par la crainte d’exister.

 » « J’arrive… »
Quelques mots, toujours les mêmes, et la peur qui coule le long du dos comme le mercure d’un thermomètre.
« J’arrive… »
Une poignée de minutes encore, comme chaque soirs dans votre appartement de South Kensington, à hésiter entre faire ta valise et faire à manger. Pour une femme libre, l’idée de fuite n’existe pas. »

La cruauté, la violence et le cynisme de leurs maris est souvent insoutenable. Pourquoi achever, alors, la lecture de ce roman? Parce que le style sec, direct comme une gifle et sans compromis ni métaphore est avant tout juste. Il y a une maitrise de la narration qui permet d’aborder le pire, à distance raisonnable pour le lecteur.
Le suspens que réussit à mettre en place Sylvie Le Bihan, proche à certain moment d’un roman policier, apporte du relief à l’intrigue et surtout laisse entendre qu’Emma reprendra le cours de sa vie, mais à quel prix?
Un roman nécessaire sur un aspect du monde moderne : les pervers narcissiques.

« Il n’y a qu’une chose dont je suis sûre et vous devez le croire : ce sont des monstres qui ont tué nos monstres. »

Sylvie Le Bihan, L’autre, Seuil, mai 2014, 204 pages, 16 euros