Delphine de Vigan : « D’après une histoire vraie »

d'après une histoire vraie

Présentation de l'éditeur : " Tu sais parfois, je me demande s’il n’y a pas 
quelqu’un qui prend possession de toi. "

Delphine de Vigan est une romancière et réalisatrice française. Elle est l’auteure de sept romans. En 2007, No et moi  l’a fait connaitre au grand public et a reçu le Prix des libraires. En 2011,  Rien ne s’oppose à la nuit se révèle être un grand succès critique dans les médias et un coup de cœur des lecteurs.

Ce 8e roman est fidèle à cette écriture toute en finesse des précédents romans mais apporte une réflexion nouvelle et approfondie sur la littérature et la notion de réel qui est réclamée à corps et à cris par des lecteurs de plus en plus avides de « vrai ».

Ce roman se décompose en 3 parties : « séduction », « dépression », « trahison », introduite chacune par une citation de Stephen King puisée dans Misery ou dans La part des ténèbres. Delphine de Vigan convoque un maître du suspense et de la manipulation, je vous laisse imaginer ce que cela augure pour le roman.

« Peut-être était-ce d’ailleurs toujours cela, une rencontre, qu’elle soit amoureuse au amicale, deux démences qui se reconnaissent et se captivent. »

Delphine (auteure du roman, personnage de fiction, double littéraire) ne parvient plus à écrire depuis l’énorme succès de son dernier roman sur sa mère. Ce n’est pas la peur de la page blanche qui pétrifie l’auteure mais la peur d’écrire, la crainte d’assembler des mots que ce soit pour rédiger un simple mail ou que ce soit pour créer un roman.

Dans ce marasme, Delphine rencontre L. lors d’une rare soirée où elle se rend encore pour tromper l’ennui. L. est une femme à la fois discrète et brillante. Delphine et L. se reconnaissent et se tissent alors des liens d’amitié.  Mais celle ci devient vite oppressante et et L., envahissante.

« L. savait tout de moi, sans que je n’aie rien dit. »

L. prend délicatement possession du terrain vague des sentiments de Delphine, de ses rêves, de ses angoisses, de ses hésitations. Petit à petit, elle gère toute l’intendance, la vie pas uniquement matérielle. Elle ira jusqu’à prendre en charge l’identité de Delphine. L. écrit aussi, mais elle n’est qu’un nègre pour célébrités, certes douée, mais reléguée à l’ombre des confessions qu’elle capte grâce à  un dictaphone et qu’elle retranscrit au prix d’un travail acharné. De L., le lecteur ne sait pas tout de suite grand chose si ce n’est qu’elle vit dans un appartement que l’on dirait tout droit sorti d’un magazine de déco, un appartement témoin sans âme et sans désordre. Sa psychologie et son passé sont assez floues. Le lecteur sait seulement qu’elle porte en elle des blessures dont elle n’a pas l’habitude de parler.

« C’était sans doute cela, la puissance d’attraction de que L. exerçait qui peut renvoyer à la fois à une initiale de prénom (et cela contribue alors au suspens) ou phonétiquement parlant à « elle » avec toute l’ambiguïté que cela peut porter est le deuxième personnage essentiel de cette intrigue.sur moi : je l’admirais pour sa lucidité à l’égard du monde et à l’égard d’elle-même, mais aussi pour sa capacité à donner le change, à jouer le jeu. »

L. avance par cercles concentriques qui se resserrent inexorablement autour de sa proie. Les codes du roman à suspense s’invitent dans la 2e et 3e parties et tout s’accélère jusqu’à la fin. Cette fin que le lecteur trépigne de connaitre et qui est nécessaire pour saisir l’ensemble du roman et le brio de sa construction.

Le récit est rédigé au passé. Dès les premières pages qui annoncent clairement la recherche  de ce moment où tout a basculé, le lecteur suit cette succession d’événements comme une enquête. L. devient un personnage énigmatique qui peut renvoyer à la fois à une initiale de prénom (et cela contribue alors au suspense) ou phonétiquement à « elle » avec toute l’ambiguïté que cela peut porter.

« Quiconque a connu l’emprise mentale, cette prison invisible dont les règles sont incompréhensibles, quiconque a connu ce sentiment de ne plus pouvoir penser par soi-même, cet ultrason que l’on est seul à entendre et qui interfère dans toutes réflexion, toute sensation, tout affect, quiconque a eu peur de devenir fou de l’être déjà, peut sans doute comprendre mon silence face à l’homme qui m’aimait. »

D’après une histoire vraie est un roman ambitieux, dense, aux frontières floues entre l’autofiction, l’exofiction et la roman à suspense. Un mélange des genres réussi d’autant plus essentiel qu’il aborde en filigrane la création littéraire, l’auteur et ses doubles et le pacte de lecture avec son lecteur. Etes-vous prêts à remettre en question vos certitudes?

« Mais toute écriture de soi est un roman. Le récit est une illusion. Il n’existe pas. Aucun livre ne devrait être autorisé à porter cette mention. »

Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie, Lattès, août 2015, 478 pages, 20 euros

20 commentaires sur « Delphine de Vigan : « D’après une histoire vraie » »

  1. Mais quel billet ma parole!! Déjà pardonne moi d’avoir mis si longtemps à enregistrer ta participation, je pensais le lire plus tôt et des copines m’en ont dissuadée. Tout ce que tu racontes est extrêmement tentant, et d’autant plus que j’avais adoré Rien ne s’oppose…que j’avais trouvé brillant et bouleversant. J’avais donc peur d’être déçue par celui-ci. Je crois qu’il y aura définitivement deux camps pour le VIgan cette année , j »espère être dans le tien (jadore ce que tu dis sur les limites de la vérité et de la fiction, sachant qu’en littérature, le vrai m’intéresse peu), merci de ta participation 😉

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  2. J’ai adoré être piégée par Delphine de Vigan, qui joue avec son lecteur avec une très grande virtuosité ! Une très belle réponse à tous ceux qui lui demandaient quelle était la part de réel dans son précédent (et somptueux) livre !

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