Philippe Besson est auteur, scénariste et dans son dernier roman aux accents auto-fictif, il prend par la main son lecteur pour l’emmener au cœur d’un gigantesque secret d’adolescent. Un livre troublant au cœur d’un amour fou, aux lisières floues et aux regrets incommensurables. Autofiction peut être, histoire d’amour universelle sûrement. Tension et maîtrise narrative ultra travaillées, mais élan généreux des souvenirs, un roman qui cueille.
L’autofiction semble s’installer durablement dans le paysage littéraire français avec une volonté de vraisemblance et de tricotage de la réalité. Si le vrai fait vendre et parler de lui, la prise avec le réel fictionnel chez Besson touche aussi à la sensibilité universelle en abordant les émois adolescents fondateurs et destructeurs à la fois. Le roman favorise ainsi l’identification du lecteur et le narrateur gagne en sympathie. Il me fait penser un peu aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau par cette volonté affiché de se montrer sans fard « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.« (JJ Rousseau, Les Confessions, incipit livre premier)
Philippe Besson décrit le sentiment amoureux d’une très jolie manière avec fluidité et nostalgie. Les deux voix, du narrateur adolescent et du narrateur devenu adulte qui connaît l’issue de la romance apportent profondeur et relief au récit. En effet, les passages candides de l’adolescent amoureux tranchent avec ceux où l’adulte désabusé et nostalgique s’exprime. Ainsi, un équilibre délicat se crée.
« Je découvre la morsure de l’attente. Parce qu’il y a ce refus de s’avouer vaincu, de croire que c’est sans lendemain, que ça ne se reproduira pas. Je me persuade qu’il accomplira un geste dans ma direction, que c’est impossible autrement, que la mémoire des corps emmêlés vaincra sa résistance. Je me dis que ce n’était pas seulement une histoire de corps, mais de nécessité. Qu’on ne lutte pas contre la nécessité. Ou, si on lutte, elle finit par avoir raison de nous. «
Mais l’auteur parvient aussi à générer du suspense par la construction même de son roman qui alterne présent et passé. J’ai beaucoup aimé la réflexion qu’il tisse tout au long du récit sur le rapport entre les blessures intimes et les espoirs secrets, et leurs resurgissements dans l’écriture. Il donne envie de relire ses anciens livres avec un œil différent. Arrête avec tes mensonges livre ainsi non seulement de nouvelles clés de lecture mais aussi apporte
« Plus tard, j’écrirai sur le manque. Sur la privation insupportable de l’autre. Sur le dénuement provoqué par cette privation ; une pauvreté qui s’abat. J’écrirai sur la tristesse qui ronge, la folie qui menace. Cela deviendra la matrice de mes livres, presque malgré moi. Je me demande quelquefois si j’ai même jamais écrit sur autre chose. Comme si je ne m’étais jamais remis de ça : l’autre devenu inaccessible. Comme si ça occupait tout l’espace mental. «
Je me suis demandée pourquoi ce livre arrivait maintenant dans l’œuvre de l’auteur. Celui qui fait aussi partie des cinq finalistes du prix Orange du livre a eu l’élégance d’y répondre dans son roman comme pour mieux réaffirmer sa liberté et le lien qui le lie à T.
« L’écriture peut être un bon moyen pour survivre. Et pour ne pas oublier les disparus. Pour continuer le dialogue avec eux. «
Un roman magistralement mené, sensible et douloureux, empli de cet amour inextinguible.
Présentation de l'éditeur : " Quand j'étais enfant, ma mère ne cessait de me répéter : « Arrête avec tes mensonges. » J'inventais si bien les histoires, paraît-il, qu'elle ne savait plus démêler le vrai du faux. J'ai fini par en faire un métier, je suis devenu romancier. Aujourd'hui, voilà que j'obéis enfin à ma mère : je dis la vérité. Pour la première fois. Dans ce livre. Autant prévenir d'emblée : pas de règlement de comptes, pas de violence, pas de névrose familiale. Mais un amour, quand même. Un amour immense et tenu secret. Qui a fini par me rattraper."
Philippe Besson, Arrête avec tes mensonges, Julliard, janvier 2017, 198 pages, 18 euros
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