Pour ce jour 24, Jérôme Attal nous fait le très beau cadeau d’un conte de noël. Merci à lui pour ces mots qui invitent au partage et au réveil de souvenirs.
C’est un presque conte de noël. Parce que, déjà, il se passe un 20 décembre. Un 22, à tout casser. Un dernier jour de classe pour les quatrièmes orange du collège Saint Augustin. Il y a le car qui vient nous chercher tous les matins à 7h pour que l’on arrive à l’heure en cours, toujours aléatoire avec les embouteillages sur la nationale, mais il y a ce quart d’heure de battement qui suffit à rendre l’aventure de l’éducation nationale à la française opérationnelle. Le soir, à six heures après l’étude, le car nous rapatrie dans nos cambrousses. Ce matin de décembre, ça a aura été coton de se rendre à l’arrêt de bus. Les trottoirs sont verglacés, glissants. Dès cinq heures du matin j’ai entendu passer, depuis ma chambre, les camions de sel et de sable. Les fines branches des arbres sont couvertes de glace et peuvent se briser si on y pose la main. Je quitte la maison dans un froid perçant et progresse avec prudence vers l’arrêt des autocars. Rien à signaler, le chauffeur est confiant, grâce au passage des saleuses on atteindra la nationale. Il y a juste une fille de la rangée du fond qui pleure parce que ses copines lui annoncent et lui jurent sur la tête de Johnny Depp que George Michaël ne s’intéresse pas aux filles. Ses plans pour le futur semblent définitivement contrariés. À 12 ans, c’est moche. La gadoue laissée par la neige fondue ralentit la circulation, le car nous jette comme des parachutistes devant le collège. La journée passe dans la béatitude et les petits complots écharpés du quotidien, et puis, voilà que dès le début de l’après-midi il se met à nouveau à neiger. À neiger tonnerre. Sans discontinuer. La neige est portée par un vent rubescent. Comme on en fait plus que par accident, de nos jours. Tous ceux qui ont la chance d’avoir des parents qui ne travaillent pas jusqu’à des heures pas possibles les voient avec apaisement se bousculer à la porte du collège dès 16h45. Parfois, des copains qui auraient dû prendre le car avec moi sont récupérés par des connaissances ou s’évanouissent dans la nature avant que la nature ne s’évanouisse sous la neige. Étrangement, à 18h, après l’étude, je me retrouve le seul môme du collège à attendre le car alors que tout porte à croire que plus aucun véhicule ne circule à dix kilomètres à la ronde. Je suis rejoint par un petit voisin de mon âge, en provenance d’un autre établissement scolaire qui rallie mon collège comme le dernier fort susceptible d’attendre la cavalerie dans un western du mardi soir.
Un très cher frère des écoles chrétiennes vient nous avertir que le car de ramassage scolaire est aux abonnés absents. Plus aucune voiture ne s’aventure sur la nationale. Le petit voisin et moi on va devoir camper dans la salle de classe. Peut-être même que le collège va devenir notre maison jusqu’à Noël. On nous apporte un reste de la bûchette aux marrons dégueulasse qu’on nous a servie pour dessert à la cantine (même pas foutus de la faire au chocolat !). Je n’ai pas du tout envie de passer Noël au collège. Je ne suis pas premier de la classe et, bien avant l’intrusion séductrice et tentaculaire des réseaux sociaux, je n’ai nul besoin d’une estrade pour être heureux. Oui, c’est le genre de collège où il y a une estrade dans chaque classe devant le tableau noir. Et à cette époque, il est considéré comme profondément débile de vouloir de soi-même monter sur l’estrade. Alors qu’aujourd’hui… Bref. J’ai envie de rentrer à la maison et le car ne viendra pas me chercher. Le temps passe. Huit heures du soir. 21 h, 22h, annoncent les chers frères qui sont encore dans les parages parce qu’ils ont une petite piaule au dernier étage de l’établissement. On nous apporte des duvets appartenant à des scouts. Soudain, une porte s’ouvre. Petite magie impromptue. La tête puis la silhouette de mon père qui apparaît dans la salle de classe. Au volant de sa 2CV bleu ciel il a défié les rues obtuses de Saint-Germain-en-Laye couvertes de neige, et il est prêt à nous embarquer, le petit voisin et moi, dans la nuit blanche et pétrifiée.
Une virée en 2CV à 23h, c’est noël pour le petit garçon que je suis. Une heure et quart d’une route dangereuse, improbable, lente mais féérique, ballotté dans la 2CV bleu ciel – j’ai la permission spéciale de monter à l’avant, mon camarade à l’arrière, penché vers mon père et moi en un silence attentif, un bras sur mon siège – ballottés dans la carlingue de l’auto qui fend les territoires d’une blancheur infinie toute près de nous brûler, ou de nous absorber – dans ce voyage magique qui serre le ventre mais dont on ne se soucie pas de l’issue – protégé de l’intérieur comme un lac, nulle peur, nulle agression du dehors, tout participe au secours, au bien être d’un moment – après une heure et quart – la nationale orangée, les blocs d’un centre commercial fantôme, la profondeur des bois éclairée d’une blancheur épaisse, un jeune renard majestueux qui coupe la route au niveau du petit bois, et quelques embardées sur des chemins périlleux où la 2CV digne et méritante démontre son ardeur, nous sommes obligés d’abandonner la voiture en haut d’une ultime côte et descendre en marchant, dégringolant, s’enfonçant presque aux genoux dans la neige, jusqu’à notre rue. Il ne fait même pas froid. Rien n’existe alors qu’une infinie douceur, une protection. Je rejoins la maison comme on va vers la veillée de Noël.
Voilà. C’est mon conte à moi. Il vaut ce qu’il vaut. Je le garde au chaud avec le temps et les pelletés de neige qui, depuis, ont recouvert les moments heureux de mon enfance. Cependant, je voudrais rendre gloire à ceux qui offrent aux autres, qu’ils soient de leur famille ou non, une maison. Les écrivains pensent qu’un texte peut être une maison pour quelque uns. Pourquoi pas. Et rendre gloire à ceux aussi qui aujourd’hui, de manière différente mais toute aussi pure, audacieuse, efficace, et magique, continuent de m’offrir un abri.
Et gloire éternelle à nos nuits de Noël.
En savoir plus sur Jérôme Attal ?
Jérome Attal est un auteur mi-crooner, mi-rêveur qui enchante le quotidien de ses romans par mille et une trouvailles heureuses. Presque la mer et Les jonquilles de Green de parc, m’ont beaucoup touché par leur délicatesse et l’optimisme qui s’en dégage. Lire un livre de Jérôme, c’est avoir l’assurance de passer un moment chaleureux et doux, comme un caramel. Si vous souhaitez connaitre les petits secrets de Jérôme, c’est par ici.