Philippe Claudel, le cinéaste, membre de l’académie Goncourt publie un nouveau roman fort, empreint d’une humanité en perdition. Fable ou roman d’anticipation ? L’auteur évoque le « problème » des migrants à travers l’histoire d’une petite île où tout va basculer.
Quand Philippe Claudel écrit on sent ce souffle littéraire incroyable qui nous transporte dans un ailleurs pourtant pas si lointain. Dès les premières phrases, le lecteur est happé par cette histoire où tout fait sens. L’auteur capte l’essence dramaturgique en invoquant très joliment les codes du chœur antique. Dès lors, on sait que le « fatum » est lancé et que rien ne pourra l’arrêter.
« Vous convoitez l’or et répandez la cendre.
Vous souillez la beauté, flétrissez l’innocence.
Partout vous laissez s’écouler de grands torrents de boue. La haine est votre nourriture, l’indifférence votre boussole. Vous êtes des créatures du sommeil, endormies toujours, même quand vous vous pensez éveillés. Vous êtes le fruit d’une époque assoupie. Vos émois sont éphémères, papillons vite éclos, aussitôt calcinés par la lumière des jours. Vos mains pétrissent votre vie dans une glaise aride et fade. Vous êtes dévorés par votre solitude. Votre égoïsme vous engraisse. Vous tournez le dos à vos frères et vous perdez votre âme. Votre nature se fermente d’oubli.
Comment les siècles futurs jugeront-ils votre temps ? »
Les personnages nommés par leur fonction (le Maire, le Curé, l’Instituteur, la Vieille) ou un détail signifiant de leur personnalité (Amérique) sont en quelques sorte des archétypes tels, le bon, la brute et la truand.
L’archipel du chien est un roman sur les choix, leurs conséquences et la peur de l’autre. L’homme de lettres décortique, analyse les peurs et les lâchetés pour rappeler la fragilité de l’humanité. C’est par l’insularité, vecteur de liberté et d’exclusion qu’il souligne encore plus la difficulté du vivre ensemble. Cette île au cœur gangrenée par un volcan n’est-elle pas une métaphore des hommes eux-mêmes ?
Ce roman recèle de dialogues puissants et d’ingéniosités littéraires qui donnent une dimension philosophique à ce roman qui prend les allures de conte d’avertissement.
« Certains mots construisent des murs que d’autres mots ne parviendront jamais à ébouler. »
Pour Philippe Claudel, « le roman c’est le caillou dans la chaussure ». A n’en pas douter, ce livre remplit et dépasse cette fonction essentielle du questionnement individuel à résonance sociale. Il se peut que vous soyez bousculés dans la lecture et c’est cela même que j’ai apprécié. Un grand roman social qui met en évidence les faiblesses et les couardises ordinaires.
Présentation de l'éditeur : "« Le dimanche qui suivit, différents signes annoncèrent que quelque chose allait se produire. Ce fut déjà et cela dès l’aube une chaleur oppressante, sans brise aucune. L’air semblait s’être solidifié autour de l’île, dans une transparence compacte et gélatineuse qui déformait ça et là l’horizon quand il ne l’effaçait pas : l’île flottait au milieu de nulle part. Le Brau luisait de reflets de meringue. Les laves noires à nu en haut des vignes et des vergers frémissaient comme si soudain elles redevenaient liquides. Les maisons très vite se trouvèrent gorgées d’une haleine éreintante qui épuisa les corps comme les esprits. On ne pouvait y jouir d’aucune fraîcheur. Puis il y eut une odeur, presque imperceptible au début, à propos de laquelle on aurait pu se dire qu’on l’avait rêvée, ou qu’elle émanait des êtres, de leur peau, de leur bouche, de leurs vêtements ou de leurs intérieurs. Mais d’heure en heure l’odeur s’affirma. Elle s’installa d’une façon discrète, pour tout dire clandestine. »
Philippe Claudel, L’archipel du chien, Stock, mars 2018, 288 pages, 19.50 euros
C’est bon, je l’ai enfin acheté ! ^^ J’ai tellement vu de chroniques élogieuses qu’il fallait que je me l’offre, et la tienne enfonce le clou ! 🙂
Merci pour cette chronique, donc ! Et vivement les vacances de mon côté pour que je dévore cet ouvrage ! ^^
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Bonne lecture !
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