Delphine de Vigan : « Les gratitudes »

Quelle est notre plus grande peur ? La mort et par extension la vieillesse. Delphine de Vigan place son lecteur face à sa plus grande crainte. Elle le fait avec une humanité folle et une dignité  bouleversante.

« Vieillir, c’est apprendre à perdre.
Encaisser, chaque semaine ou presque, un nouveau déficit, une nouvelle altération, un nouveau dommage. »

« Les gratitudes » s’inscrit dans la lignée du précédent roman de l’auteure « Les loyautés » et sera suivi d’un troisième opus. Tous les trois exploreront les lois souterraines de notre rapport intime au monde.
Dire merci, exprimer sa gratitude, vous le faites souvent, rarement ? L’auteure explore les liens d’asservissement et de liberté qui peuvent découler de ce sentiment, et tout cela sonne extrêmement juste.

Très vite, à la lecture, je mesure que ce roman est incroyable. Vous le verrez ma chronique en sera bouleversée et surement brinquebalante, parce que c’est des livres qui m’ont le plus touchée dont j’ai le plus de mal à parler.

Quand je découvre l’histoire de Michka, j’éprouve rapidement une impression de justesse, d’authenticité. Et pourtant je suis sûre que ce n’est pas que de cela dont il s’agit, mais plus de la manière qu’a Delphine de Vigan de me toucher en plein cœur. C’est très rare, pour moi, d’avoir ce sentiment de reconnaissance avec un auteur.
L’écriture est d’une telle intensité que je suis en larmes au bout de trois pages et pourtant il n’y a aucune démonstration de style, mais plutôt la recherche d’une économie de mots et de leur justesse.

Il y a un EPHAD, les mots de Michka qui s’en vont et donnent lieu à des dialogues à la fois drôles et tristes. Il y a aussi Marie et Jérôme, les aidants, qui m’ont immédiatement fait penser par leurs meurtrissures et leur don de soi à Mathilde et Thibault du roman « Les heures souterraines« . Ils sont grands, beaux, forts mais aussi fragiles, humains, mélancoliques. Le huis clos de la chambre de Michka va faire ressurgir secrets, espoirs et même donner lieu à quelques révélations.

Ce livre est d’une grande beauté parce que l’auteure y dit tout, n’épargne pas le lecteur, et exprime tout par les mots mais aussi par les silences. Et c’est finalement un peu comme si le texte lui-même devenait le reflet de cette vieille personne si attachante qui réinvente le monde avec ses fantômes, ses terreurs, et ses mots particuliers. Une vraie réflexion sur le langage se dégage en filigrane du roman. Les mots peuvent-ils nous sauver ? Le travail d’orthophonie est décrit avec minutie et se révèle assez passionnant. Il montre aussi à quel point le lien soignants – soignés déborde souvent du cadre médical pour remplir une fonction sociale, amicale et essentielle au maintient dans le monde sensible des patients.

« Quand je m’imagine vieille, vraiment vieille, quand j’essaie de me projeter dans quarante ou cinquante ans, ce qui me paraît le plus douloureux, le plus insoutenable, c’est l’idée que plus personne ne me touche. La disparition progressive ou brutale du contact physique.
Peut-être que le besoin n’est plus le même, que le corps se rétracte, se recroqueville, s’engourdit comme lors d’un long jeûne. Ou peut-être qu’au contraire il crie famine, un cri muet, insoutenable, que plus personne ne veut entendre. »

Je pourrais vous parler des heures de ce roman dont chaque phrase est une porte pour interroger le monde dans lequel nous vivons. 

Ce roman est magnifique. Juste, fort, beau, touchant et triste aussi.
Il va changer votre vie.
Lisez-le.

Présentation de l'éditeur : "«  Je suis orthophoniste. Je travaille avec les mots et avec le silence. Les non-dits. Je travaille avec la honte, le secret, les regrets. Je travaille avec l’absence, les souvenirs disparus, et ceux qui ressurgissent, au détour d’un prénom, d’une image, d’un mot. Je travaille avec les douleurs d’hier et celles d’aujourd’hui. Les confidences.  
Et la peur de mourir.   
Cela fait partie de mon métier.
Mais ce qui continue de m’étonner, ce qui me sidère même, ce qui encore aujourd’hui, après plus de dix ans de pratique, me coupe parfois littéralement le souffle, c’est la pérennité des douleurs d’enfance. Une empreinte ardente, incandescente, malgré les années. Qui ne s’efface pas.  »
 Michka est en train de perdre peu à peu l’usage de la parole. Autour d’elles, deux personnes se retrouvent  : Marie, une jeune femme dont elle est très proche, et Jérôme, l’orthophoniste chargé  de la suivre."

Delphine de Vigan, Les gratitudes, Lattès, mars 2019, pages, euros

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