Isabelle Carré : « Du côté des Indiens » #RL2020

Isabelle Carré m’avait enchantée avec Les rêveurs en 2018. Son deuxième roman poursuit l’exploration des relations humaines au sein d’une famille où chacun caresse des rêves et s’arrange avec la réalité. Derrière ce titre énigmatique se cache un monde diffracté par l’envie et les certitudes où le lecteur assiste, mi-témoin mi-spectateur, à une comédie dramatique sensible et engagée. On en ressort un peu hébété, marqué durablement par ces destins familiers.

L’auteure construit son roman comme une partition  très originale et sans règles. Prolepses, analepses viennent donner du relief à un roman choral où le narrateur est complétement effacé derrière les personnages.  Chacun développe un langage propre, un phrasé et s’exprime au « je ». Les changements de personnages demandent parfois une adaptation et c’est tant mieux.

Dès les premières pages du roman, Ziad découvre une vérité qui l’impactera fortement toute son enfance. Son père, Bertrand, entretient une relation avec Muriel, la voisine du 5e étage. Du haut de ses 10 ans, il souhaite que cela change et intervient dans une relation d’adultes avec la lucidité et la candeur de l’enfance.

« Il n’a que dix ans, mais il sait déjà qu’il ne ressemblera jamais à ces promeneurs réjouis qui déambulent, le nez au vent, la gueule enfarinée. Il sent bien qu’il appartient à une autre catégorie. La sienne est peuplée de solitaires, une seconde humanité honteuse et tourmentée. »

Muriel, cette inconnue rendue sympathique par l’auteure se raconte d’abord à Ziad mais aussi à elle-même. Elle évoque ses rêves de cinéma qui se sont fracassé sur les velléités déplacées d’un metteur en scène lors de son unique expérience en tant qu’actrice. L’auteure évoque le mouvement #metoo avec une pudeur efficace qui accentue chaque mot, chaque geste, chaque humiliation, chaque compromission avec ses idéaux.

Anne la mère n’est pas épargnée ni par les frasques de son mari ni par son combat contre ses propres démons. La chute sera impressionnante, bouleversante.

Le style aérien de l’auteure, avec ses métaphores originales, ses descriptions précises et sensorielles d’un environnement pourtant commun offre un regard poétique plein de douceur. L’empathie de l’auteure ne tarde pas à glisser jusqu’au lecteur.

A partir d’une gentille histoire d’adultère, Isabelle Carré brosse  définitivement un portrait saisissant de réalisme d’hommes et de femmes en lutte avec leur idéaux. Jamais victimes, toujours acteurs, ils jouent le rôle de leur vie dans une société écrasante de préjugés où la parole semble enfin se libérer. Un texte fort et brillant sans démonstration littéraire, avec l’intelligence du mot juste.

 

Présentation de l'éditeur : «  Il s’est trompé, il a appuyé sur la mauvaise touche, pensa aussitôt Ziad. Il ne va pas tarder à redescendre… Il se retint de crier  : “Papa, tu fais quoi  ? Papa  ! Je suis là, je t’attends…” Pourquoi son père tardaitil à réapparaître  ? Les courroies élastiques de l’ascenseur s’étirèrent encore un peu, imitant de gigantesques chewinggums. Puis une porte s’ouvrit làhaut, avec des rires étranges, chargés d’excitation, qu’on étouffait. Il va comprendre son erreur, se répéta Ziad, osant seulement grimper quelques marches, sans parvenir à capter d’autre son que celui des gosses qui jouaient encore dans la cour malgré l’heure tardive, et la voix exaspérée de la gardienne qui criait sur son chat.
Son père s’était volatilisé dans les derniers étages de l’immeuble, et ne semblait pas pressé d’en revenir.  » Ziad, 10 ans, ses parents, Anne et Bertrand, la voisine, Muriel, grandissent, chutent, traversent des tempêtes, s’éloignent pour mieux se retrouver. Comme les Indiens, ils se sont laissé surprendre  ; comme eux, ils n’ont pas les bonnes armes. Leur imagination saura-t-elle changer le cours des choses  ? La ronde vertigineuse d’êtres qui cherchent désespérément la lumière, saisie par l’œil sensible et poétique d’Isabelle Carré.

Isabelle Carré, Du côté des Indiens, Grasset, aout 2020, 352 pages, 22 euros

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