Carole Martinez : « Les roses fauves » #RL2020

« Je suis la gardienne d’une histoire que j’ignore et qui ne m’appartient pas. L’origine de la douleur s’est perdue, il ne reste qu’un prénom et l’héritage inquiétant et silencieux qui repose dans mon armoire. […] Et nul ne se pose jamais la question du début. Comment soigner une douleur fantôme ? »

Carole Martinez possède une voix, même à l’écrit on l’entend, profonde et souple, avec un petit grain grave plein de charme. Conteuse hors pair, elle m’enchante à chaque nouvelle sortie, me surprend et me cueille. Avec ce 4e roman, elle explore encore un peu plus les arcanes de l’imaginaire et la sensualité de l’écriture à travers le destin de femmes libres.

Dès les premières pages, l’auteure évoque son premier roman « Le cœur cousu » et la rencontre avec une lectrice qui lui explique que les cœurs cousus existent réellement en Espagne.

L’auteure à la faveur d’une carte postale décide de partir écrire en Bretagne (le pays des contes et des légendes par excellence) et rencontre Lola, une postière particulière qui lui offre son histoire et bien en plus encore. En effet, elle-même détentrice de cinq cœurs cousus, elle accepte à la faveur d’un accro d’ouvrir et de prendre connaissance des fragments de vie de son aïeule en présence de l’auteure qui aussi la narratrice du roman.

Comme dans un véritable roman à tiroirs, Carole Martinez cite alors in extenso les fragments du cœur de Dolores Ines. Le lecteur apprend le destin de cette jeune femme candide au désir chevillé au corps. Ce sera aussi l’occasion de comprendre le mystérieux titre du roman et d’évoquer ces roses fauves.

Un des thèmes principaux du roman est l’omniprésence de la nature. Souvent symbole des désordres intimes, elle prend toute sa puissance dans son mimétisme de l’humeur des personnages ; à moins que ce ne soit l’inverse.

« Novembre emplit l’espace d’une force immanente. Les éléments s’enlacent, rien ne se contredit, la terre se fait boue, le ciel s’affaisse, les arbres flambent, les clochers s’embrument, les contours s’estompent, les choses s’emmêlent, lascives, débordées par leurs ombres. »

Carole Martinez évoque une lignée de femmes dont la toute dernière survivante aura peut être le courage de briser leur malédiction. Les femmes chez cette auteure ont souvent perdu leur liberté, sont emmurées, réduites à la domination masculine. Encore plus féministe et engagée, cette histoire fait la part belle au désir féminin avec la sensualité en étendard.

Dans ce dernier opus, une bascule semble s’opérer dans l’écriture, comme si quelque chose s’était libéré. Plus libre dans la forme, le récit s’envole.
C’est un grand et beau coup de cœur.

Présentation de l'éditeur : «Peu après la sortie de mon premier roman, Le cœur cousu, une lectrice m’a raconté une coutume espagnole dont j’ignorais l’existence : dans la sierra andalouse où étaient nées ses aïeules, quand une femme sentait la mort venir, elle brodait un coussin en forme de cœur qu’elle bourrait de bouts de papier sur lesquels étaient écrits ses secrets. À sa mort, sa fille aînée en héritait avec l’interdiction absolue de l’ouvrir. J’ai métamorphosé cette lectrice en personnage.
Lola vit seule au-dessus du bureau de poste où elle travaille, elle se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de ses fleurs et, dans sa chambre, trône une armoire de noces pleine des cœurs en tissu des femmes de sa lignée espagnole. Lola se demande si elle est faite de l’histoire familiale que ces cœurs interdits contiennent et dont elle ne sait rien. Sommes-nous écrits par ceux qui nous ont précédés?
Il faudrait déchirer ces cœurs pour le savoir…» C. M.

Carole Martinez, Les roses fauves, Gallimard, aout 2020, 352 pages, 21 euros

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