Gaëlle Josse : « Une femme en contre-jour »

Saisir le destin d’un artiste dans sa singularité, ses vibrations, ses concessions et ses folies, c’est ainsi que je définirai le très beau livre de Gaëlle Josse sur Vivian Maier. Comment devient-on photographe ? Qu’est ce que le regard ? Voyons-nous tous la même chose ?

Avec la poésie qu’on lui connait, Gaëlle Josse feuillette non seulement l’album photo mais aussi l’incroyable sensibilité artistique de Vivian Maier, cette nurse discrète adoptée par l’Amérique mais aux racines françaises.

« Entrer dans une vie, c’est brasser des ténèbres, déranger des ombres, convoquer des fantômes. C’est interroger le vide et tendre l’oreille vers des échos perdus. »

Comment naît-on artiste ou le devient-on ? Notre art doit-il être montré pour survivre et vivre en tant que tel ? La liberté de création est-elle liée d’une manière ou d’une autre à la perception, à la réception de nos réalisations par autrui ? Avec des esquisses de réponse et de grands mystères qui subsistent, Gaëlle Josse trace le portait de cette photographe compulsive au regard généreux qui n’a jamais montré ses clichés de son vivant et a disparu dans le plus grand dénuement et dans une certaine forme de folie paranoïaque.

« Son regard prodigue a multiplié les miracles nés d’une exceptionnelle, d’une troublante empathie envers l’univers des exclus, des laissés-pour-compte, de ceux qui ne possèdent rien, à peine leur propre vie. Elle leur a offert son seul bien, son trésor : le regard. »

Vivian Maier apparaît tour à tour, femme moderne, seule et solitaire, discrète mais voyant tout. Tout des petites gens, des faux semblants, de cette Amérique qui n’a rien du rêve américain que sa mère est venue chercher. Histoire d’une lignée de femmes éprises de liberté mais enchaînées à leur statut de mère ou d’épouse, la jeune nurse prend le contre pied et s’installe dans une ascèse sentimentale et sociale assez poussée. L’auteure a ce sens de l’empathie, du non-jugement autour de cette personnalité insaisissable et cela renforce la portée symbolique du destin chahuté de cette femme de caractère et d’évitement : de paradoxes.

J’ai profondément aimé le ton, la gaieté et le gravité se répondant en écho, le choix même de la juste distance pour aborder cette femme, mi-biographie, mi-fiction entre admiration et questionnement. Un beau roman simple et puissant qui laisse des traces et vous donnera bien sûr envie de découvrir les photos de Vivian Maier.

Présentation de l'éditeur : "Dix ans après la mort de Vivian Maier, Gaëlle Josse nous livre le roman d’une vie, un portrait d’une rare empathie, d’une rare acuité sur ce destin troublant, hors norme, dont la gloire est désormais aussi éclatante que sa vie fut obscure."

Gaëlle Josse, Une femme en contre-jour, Noir sur Blanc, mars 2019, 160 pages, 14 euros

2 commentaires sur « Gaëlle Josse : « Une femme en contre-jour » »

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