Jour 24 : Gaëlle Josse nous offre un conte de noël

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Gaëlle Josse est une auteure à la plume poétique et délicate. Avec peu de mots elle saisit les émois et les questionnements intérieurs. Elle nous fait le très joli cadeau de nous offrir ce conte de Noël, merci à elle et de très joyeuses à vous tous!

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Une nuit au bord du fleuve,
un conte de Noël

 par Gaëlle Josse ©

En ces temps-là, les arbres avaient une âme et une voix, les vents avaient une âme et une voix, et les fleuves aussi avaient une âme et une voix.
En ces temps-là venait de naître un enfant, sur une terre d’ocre, de sable, sur une terre de figuiers, de vignes et d’oliviers. A cet instant même, la voix des arbres, des vents et des fleuves se mit à murmurer, partout dans le monde, que cet enfant, né dans une simple étable, démuni parmi les  démunis, était venu pour sauver le monde.
Elle disait aussi qu’à l’annonce de cette nouvelle, trois rois parmi les plus riches et les plus puissants s’étaient mis en chemin pour le voir. On avait vu leurs caravanes disparaître derrière les dunes, avec des chameaux chargés de présents. Des serviteurs marchaient avec des flambeaux pour éclairer ces rois en marche dans la nuit.

Les arbres, les fleuves et les vents avaient porté la nouvelle en un pays où les sapins et les bouleaux tiennent lieu de figuiers, de vignes et d’oliviers, où le blanc bleuté de la neige remplace l’ocre des sables.

Les hommes s’étaient rassemblés pour débattre de cette idée étrange de sauver le monde. Il y avait Dimitri, le riche marchand, qui trouvait que le monde n’avait pas besoin d’être sauvé, car il était à sa convenance. N’était-il pas riche de fourrures, de terres et de troupeaux, les gens du village ne se courbaient-ils pas bien bas sur son passage ?
Siba, le voyageur, était d’un autre avis. Il pensait que le monde avait besoin d’être sauvé, car tout ce qu’il avait vu au cours de sa longue vie le lui avait trop souvent montré. Mais Siba était vieux, et fatigué. A quoi bon changer le monde maintenant ?
Tchenko le chasseur ne comprenait pas ce que signifiait sauver le monde. Qu’il y avait-il à sauver ? Chacun n’avait-il pas la liberté de prendre un arc et des flèches, de poser des pièges et de vivre à sa guise ?
Iounès le mendiant restait à l’écart. Le monde ne pouvait pas être sauvé, pensait-il, et lui, mourrait mendiant, comment pourrait-il en être autrement ? Chacun avait sa place dans le monde, certains étaient mieux lotis que d’autres, et on n’y pouvait rien.
Ivan, le pêcheur, n’avait pas d’avis sur la question. Son monde à lui, c’était Aliocha, son épouse, et Slava, son fils de sept ans, qui l’accompagnait sur le fleuve aux beaux jours et qui maniait les lignes et les filets avec adresse. Et maintenant, Slava allait mourir, il s’était blessé à la jambe la semaine passée, la plaie s’était infectée, la fièvre ne le quittait pas depuis des jours, et le cœur de père d’Ivan était déchiré.

Les femmes s’étaient réunies de leur côté, et elles aussi se demandaient ce que pouvait signifier sauver le monde. Un monde qu’Irina, la plus âgée, ne voyait déjà plus, avec ses yeux usés. Comment sauver quelque chose qui s’était déjà dérobé à sa vue ?
Douna, la servante, pensait que ce serait bien de sauver le monde, si cela voulait dire que les pauvres ne seraient plus frappés ni humiliés, mais elle savait que c’était un rêve, car c’était impossible, et elle savait aussi que ce rêve pouvait rendre fou.
Lena trouvait quant à elle le monde à son goût. N’était-elle pas jeune et belle, magnifiquement parée, et n’était-elle pas promise au fils ainé du riche marchand ?
Pour Aliocha, la femme d’Ivan, le monde commençait et finissait avec son fils et son mari. Dès qu’elle voyait la barque revenir au bord du fleuve avant la nuit, elle savait qu’elle ne désirait rien de plus. Mais aujourd’hui, Aliocha n’avait pas le cœur à discourir du sort du monde. Slava prononçait dans son délire des mots étranges et ne s’alimentait plus. Le regard des femmes autour d’elle lui faisait comprendre qu’il lui fallait se résigner à perdre son fils, et son cœur de mère était déchiré.

Ivan restait silencieux. Il pensait à la nouvelle que les voix des arbres, des fleuves et des vents avaient apportée. Comment un enfant à peine né pourrait-il sauver le monde ? C’était inconcevable, mais les voix des arbres, des fleuves et des vents n’avaient jamais menti. Que fallait-il en penser ?
Et pourquoi avait-on laissé un enfant naître dans un tel dénuement ? Le cœur des hommes était-il à ce point insensible, pour refuser l’hospitalité à un couple loin de chez lui, et à une femme épuisée, à la veille de donner la vie ? N’y avait-il pas sur cette terre un seul cœur assez charitable pour leur ouvrir sa propre demeure ?

Ivan laissa les hommes à leurs discussions et descendit au bord du fleuve. Il s’assit près de l’eau et pensait à cet enfant qui venait de naître, si loin, et à son propre fils qui allait mourir.
Il demeura ainsi la nuit entière, dans le froid, et ses pensées allaient du visage fiévreux de son enfant à cet autre enfant qui manquait de tout, dans ces terres aux couleurs inconnues, aux arbres inconnus, aux parfums inconnus.
Il se dit que si cet enfant devait sauver le monde, les hommes l’accueillaient bien mal, et que c’était injuste, tout comme il était injuste que son fils meure. Et les larmes lui vinrent aux yeux, sans qu’il sache s’il pleurait sur son fils ou sur ce nouveau-né inconnu, né si loin d’ici.

Il demeura ainsi toute la nuit, assis au bord du fleuve. Au petit jour, transi, il se décida à rentrer chez lui et vit Aliocha qui l’attendait sur le pas de la porte. Elle souriait, de ce sourire qu’il n’avait pas vu depuis de longs jours, de ce sourire qu’il emportait chaque matin avec lui en allant sur le fleuve.

« Slava est sauvé, la fièvre est tombée cette nuit et la blessure s’est refermée. Il s’est passé quelque chose d’inexplicable ». Et ce furent des larmes de joie.Ivan les serra tous les deux dans ses bras. « Je sais qu’un enfant vient de naître, très loin d’ici, pour sauver le monde. C’est une joie que nous allons partager avec tous. Venez, et témoignons ensemble de cette nouvelle ».

Et c’est ainsi qu’en cette heureuse journée du vingt-cinq décembre, des premières heures du jour à la nuit tombée, on put voir dans le village trois silhouettes légères, vêtues de leurs habits de fête, passer en chantant de maison en maison. Et toutes allumaient bougies et lanternes, posaient sur les tables les fruits, le vin et le miel pour les accueillir et se réjouir avec eux.

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