David Foenkinos signe un nouveau roman extrêmement bien construit proche du thriller psychologique où se distinguent deux tableaux. Un avant et un après. Cela m’évoque la scène du marque-pages dans « La délicatesse », ce moment où Nathalie place un signet dans le livre qu’elle est en train de parcourir et qu’elle repose au moment où on lui annonce la mort de François. Cette construction permet de mettre en évidence les difficultés à concilier un passé malheureux et à imaginer un futur radieux. Mais chez l’auteur, rien n’est jamais simple et l’enténèbrement peut surgir de la lumière et vice versa.
Petit à petit le personnage de Mathilde prend corps, âme, chair. Il se développe en contrepoint de celui de sa sœur, Agathe. Mais rien n’est tout blanc ou tout noir et c’est là la force de ce roman qui va de rebondissements en rebondissements. On retrouve l’univers de David Foenkinos, celui de « La délicatesse » bien sûr mais aussi celui de « Charlotte » qui fait renaître avec lui « La jeune fille et la mort » de Schubert. Il y a une réelle recherche esthétique de la mélancolie, de la puissance du manque et de la folie.
Mais David Foenkinos s’attache aussi à épingler les travers de notre société hyper connectée, déconnectée de l’essentiel, où le règne de l’information génère une communication vide de sens et où le trop plein tue la passion.
« Les humains traversent l’histoire avec une nonchalance croissante ; l’excès d’informations en toute chose aboutissait à une diminution sidérante de la capacité à s’enthousiasmer. »
Il y a aussi cette question profonde de la paire, du couple. On ne choisit pas la sororité mais on choisit son couple (même si parfois on en subit l’achèvement, comme c’est le cas pour Mathilde). David Foenkinos semble esquisser l’idée de la difficulté d’être deux, dans un monde où deux n’est plus suffisant. L’adversité, le manque d’engagement, la consommation, tout concourt à mettre en péril les échappés sensuelles et même littéraires. Que serait-il de ce monde où l’auteur explique la dangerosité de lire ? Sommes-nous déjà dans ce monde ? Lire Flaubert et son « éducation sentimentale » est-ce un pas vers le malheur ? L’ignorance est-elle le bonheur des simples ?
« Quand vous souffrez, tout le monde vous considère comme un produit explosif. Vos interlocuteurs s’approchent de vous en espérant que le fil rouge et le fil bleu qui sont en vous ne vont pas leur faire exploser une bombe au visage. »
Le chroniqueur de psychologie magazine si brillant que je lis depuis 10 ans, ressurgit bien sûr dans ce livre et porte un regard dur et en même temps si juste sur le monde d’aujourd’hui. S’il est question dans ce roman d’un deuil sentimental il est aussi question de reconstruction, d’abandon, de solitude, et de ces sentiments si proches de la folie : l’amour et la haine.
Un coup de coeur.
Présentation de l'éditeur : "Du jour au lendemain, Étienne décide de quitter Mathilde, et l’univers de la jeune femme s’effondre. Comment ne pas sombrer devant ce vide aussi soudain qu’inacceptable? Quel avenir composer avec le fantôme d’un amour disparu? Dévastée, Mathilde est recueillie par sa sœur Agathe dans le petit appartement qu’elle occupe avec son mari Frédéric et leur fille Lili. De nouveaux liens se tissent progressivement au sein de ce huis clos familial, où chacun peine de plus en plus à trouver un équilibre. Il suffira d’un rien pour que tout bascule… David Foenkinos dresse le portrait d’une femme aux prises avec les tourments de l’abandon. Mathilde révèle peu à peu une nouvelle personnalité, glaçante, inattendue. Deux sœurs, ou la restitution précise d’une passion amoureuse et de ses dérives."
David Foenkinos, Deux soeurs, Gallimard, février 2019, 176 pages, 17 euros
J’avaos très envie de le lire, eh bien envie confirmée !
J’aimeJ’aime