Emmanuelle Lambert : « La désertion »

Déserter ? Quitter son corps d’appartenance sans autorisation ou plus généralement abandonner une place que l’on s’est vu attribuer pour en prendre une autre, voilà les sens propre et figuré du titre de ce roman. Mais ce mot met aussi en évidence l’interdépendance entre le sujet et la société, les jeux souterrains de pouvoir, de séduction, de désir d’appartenance et de manipulation. Dès lors que l’on prend conscience de ce titre à la fois mystérieux et plein de souffrance cachée, on plonge dans la vie d’Eva Silber avec la sensation que cela va mal se finir. Préparez-vous à être surpris…

Le roman est construit autour de l’absente, en quatre chapitres denses et souples portés chacun par un personnage différent en lien avec Eva Silber, jusqu’au dernier chapitre focalisé par la disparue, elle-même. Cette construction place le lecteur en position d’attente et crée un énorme suspense qui croît crescendo avec le roman. Il y a quelque chose du mythe antique, du fatum, du destin sacrifié pour l’humanité.

Une grande attention est portée au style de chaque partie, on sent, ou plutôt on entend chaque personnage dans son langage et ses failles. Petit à petit, chaque personnage va se livrer révélant peu à peu ses secrets, ses petits arrangements avec la vérité, ses névroses et ses excès. Cela se fait dans un joli jeu de miroirs, ou les regards se croisent comme les destins de ces personnages écorchés dont la complétude ne peut s’atteindre que dans la solitude d’Eva Silber.

« A quel moment ? Quand a-t-elle commencé à chuter dans le désintérêt , dans le dégoût des autres, de la vie, des choses qu’on fait, qu’on aime ? »

Un roman à l’ambiance voilée des non-dits qui laisse au cœur du lecteur une trace douce-amère, sur laquelle on revient plusieurs fois après lecture. L’auteure questionne  avec maestria sur la forme que peut prendre notre rapport aux autres de la plus neutre à la plus excessive et ce qu’il révèle de nous. Magistral.

Présentation de l'éditeur : « Le premier jour d’absence il était descendu à l’heure du déjeuner pour l’attendre dans le parc, caché derrière l’arbre d’où il observait la sortie de ses subordonnés. Il avait ensuite vérifié les registres de la badgeuse. Aucune trace d’elle. » Un jour, Eva Silber disparaît volontairement. Pourquoi a-telle abandonné son métier, ses amis, son compagnon, sans aucune explication ? Tandis que, tour à tour, ses proches se souviennent, le fait divers glisse vers un récit inquiétant, un roman-enquête imprévisible à la recherche de la disparue.

Emmanuelle Lambert, La désertion, Stock, janvier 2018, 160 pages, 15 euros

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