Delphine de Vigan : « Les loyautés »

Delphine de Vigan est une de mes plumes préférées toute époque confondue. J’aime son écriture fluide d’une clarté et d’une justesse déconcertantes. Ses deux derniers romans, Rien ne s’oppose à la nuit et D’après une histoire vraie ont mis en évidence la frontière ténue entre fiction et réel. Avec ce roman, elle renoue avec le roman social qui s’est souvent invité dans son œuvre avec les très réussis No et moi et Les heures souterraines.

Dès l’incipit du roman, Delphine de Vigan pose sa définition de la loyauté. Elle y revient tout au long du roman par le regard de ses quatre personnages dont chacun prend en charge une partie du récit.

« Les loyautés
Ce sont les lois de l’enfance qui sommeillent à l’intérieur de nos corps, les valeurs au nom desquelles nous nous tenons droits, les fondements qui nous permettent de résister, les principes illisibles qui nous rongent et nous enferment. Nos ailes et nos carcans.
Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves. « 

Delphine de Vigan avait marqué par son art du suspense dans son dernier roman, ici, elle fait naître une tension différente dans le récit où l’on sent poindre l’urgence de survivre et d’oublier. L’oubli est probablement l’une des choses qui relie chacun des personnages dont les interactions sont fortes, intimes, excessives et chargées du poids mort des secrets.

« Je sais que les enfants protègent leurs parents et quel pacte de silence les conduit parfois jusqu’à la mort.
Aujourd’hui je sais quelque chose que d’autres ignorent. Et je ne dois pas fermer les yeux.
Parfois je me dis que devenir adulte ne sert à rien d’autre qu’à ça : réparer les pertes et les dommages du commencement. Et tenir les promesses de l’enfant que nous avons été. « 

Mais ces deux adolescents et ces deux adultes sont avant tout en lutte avec eux-mêmes. Cette lutte questionne l’idéal et la marge de manœuvre infime pour s’en approcher de manière concrète ou artificielle. Il y a dans ce roman plusieurs faits de société qui sont abordés : la garde alternée, l’ascension et la déchéance sociale, les addictions, le couple dysfonctionnel. Fidèle à ses convictions exposées dans No et moi au sujet de la place de l’école dans le développement des enfants, l’auteure attribue aussi à la figure du professeur, une fonction solaire et salvatrice.

Delphine de Vigan ausculte avec finesse et délicatesse les errements d’êtres déchirés, les promesses que l’on se fait à soi-même au delà de la raison pour se prouver que l’on existe envers et contre tout. Un roman qui questionne et ne donne pas de réponse. Du très grand Delphine de Vigan.

Présentation de l'éditeur : " Chacun de nous abrite-t-il quelque chose 
d'innommable susceptible de se révéler un jour, comme une encre sale, 
antipathique, se révelerait sous la chaleur de la flamme ? Chacun de 
nous dissimule-t-il en lui-même ce démon silencieux capable de mener, 
pendant des années, une existence de dupe ? "

Delphine de Vigan, Les loyautés, Lattès, janvier 2018, 208 pages, 17 euros